0221 Les Jours DAprès.
Happyness is not a destination, is a way of life.
Le bonheur, nest pas une destination, mais un chemin (mode) de vie.
Jeudi 13 septembre 2001.
Le lendemain de mon retour sur Toulouse, je me réveille dans un état desprit étrange, dans lequel se mélangent des opposés, le bonheur le plus radieux et la tristesse la plus sombre. Lécho de lamour partagé avec mon bobrun pendant ces quelques jours à la montagne vibre toujours en moi. Mais en même temps, le manque et la distance se font sentir de façon violente.
Cest le premier jour où je me réveille chez moi, depuis Campan. La première fois où je me réveille à Toulouse, dans mon lit, sans Jérém à mes côtés, ou du moins à proximité.
Alors, en cet instant de flottement entre sommeil et veille, entre rêve et réalité, en ce « lieu » imaginaire où tout semble encore possible, je cherche mon bobrun dans les draps, je cherche sa présence, son parfum, sa peau, la chaleur, le contact rassurant de son corps. Pendant un instant, jarrive presque à me créer lillusion dêtre encore avec lui. Car mon t-shirt, ma peau, mon corps, mon être tout entier portent son « odeur ».
Je me force à garder les yeux fermés, je me force à entretenir cette illusion le plus longtemps possible. Mais lorsque je me résigne à accepter lévidence, à admettre que mes mains ne rencontrent que des draps vides, que je suis seul dans mon lit, ce sont mes larmes qui balaient les dernières « poussières de rêves ».
Je crois que cette nuit jai rêvé de mon bobrun. Je crois que jen ai rêvé toute la nuit durant. Jai rêvé quon faisait lamour, quon se serrait très fort lun contre lautre, quon se couvrait de bisous. Jai rêvé de son sourire, de son regard amoureux. Jai rêvé quon était ensemble et quon ne serait plus jamais séparés.
Et pourtant, force est de constater que nous le sommes. Et que si hier matin encore jétais avec lui au réveil, pendant le petit déj aujourdhui nous sommes loin lun de lautre.
Je nai pas senti de suite cette absence dans toute sa violence. Pas jusquà ce réveil.
Certes, dès linstant où nous nous sommes séparés hier matin, il ma manqué. Pendant le voyage de retour, tout le long de la route, et même lorsque je suis rentré à St Michel, il ma manqué, à chaque instant.
En arrivant sur Toulouse, jai retrouvé ma ville comme après le retour d'un très long voyage. Jai eu limpression de ne plus la reconnaître. Comme si elle avait profondément changé depuis mon départ. En roulant sur la rocade, en parcourant les rues, en regardant les façades, en retrouvant les commerces et les quartiers dune ville familière et pourtant distante, je me suis senti « étranger ». Jai eu comme limpression que mon départ, cétait il y a des années. Et pourtant, il ne sétait écoulé quune poignée de jours. Bien sûr, rien na vraiment changé depuis vendredi dernier, à part la météo. Grise et pluvieuse alors, intensément ensoleillée ce mercredi. Non, rien na changé, à part mon regard, mon ressenti. A part labsence de mon Jérém. « Un seul être vous manque et tout est dépeuplé ».
Mais lorsque jai retrouvé ma rue, lorsque jai garé la voiture au garage, lorsque jai refermé la grande porte derrière moi, lorsque jai passé le seuil de la porte du cellier et que jai fait la bise à maman, lorsque je me suis réfugié dans ma chambre, je me suis senti comme protégé. Jérém me manquait horriblement, bien sûr. Et pourtant, ce nétait pas aussi violent que ce matin. Je crois que jétais comme dans le prolongement de la magie de nos retrouvailles. Cest un peu comme lorsquon revient dun beau voyage et quon a du mal à « atterrir » dans notre tête, parce quon a encore les yeux pleins détoiles.
Jusquà hier soir, jétais encore sur mon petit nuage. Au point que, par moments, mon inconscient me chuchotait la folle impression que la porte de ma chambre pourrait souvrir dune minute à lautre et que mon Jérém pourrait débarquer pour passer sa vie avec moi.
Cest sûrement pour ne pas redescendre de mon petit nuage que je nai pas non plus eu envie dappeler qui que ce soit hier après-midi. Ni ma cousine, ni Julien, ni même Thibault. En fait, jai passé laprès-midi à me replonger dans les souvenirs de ces petites vacances, et à essayer de les mettre par écrit. Car je veux me rappeler à tout jamais des moindres moments, de chaque rencontre, de chaque conversation, de chacun des personnages dont jai fait la connaissance là-haut. Je ne veux pas oublier ce petit monde et du bonheur quil ma apporté. Et, surtout, je veux me souvenir de chaque mot, du moindre sourire, du moindre regard, du moindre geste de mon Jérém amoureux.
Quand je pense que jai failli ne pas aller le rejoindre. Et que jai donc failli ne pas connaître la joie immense de retrouver mon Jérém, de le découvrir dans un décor inattendu et surprenant. Aimant et touchant. Il sen est manqué de peu pour que je passe à côté de ma vie.
La seule personne que jai laissé rentrer dans ma bulle, cest ma maman.
Hier, lorsque je suis rentré, elle ma dit quelle était très soulagée de me revoir enfin à la maison. Elle ma dit aussi quelle sétait beaucoup inquiétée après les attentats de New York.
« Mais je nétais pas à New York ! » je lui ai rétorqué.
« Je sais. Mais pendant quelques heures, on a tous cru que cétait la fin du monde. Et tu nétais pas sous mes yeux ! »
« Je comprends
».
Il est plutôt simple à comprendre, le cur dune maman, lorsquon tend bien loreille.
Elle ma ensuite demandé si mes vacances dans les Pyrénées sétaient bien passées.
Je lui ai dit à quel point javais été heureux pendant ces quelques jours avec mon Jérém.
« Tu es vraiment très amoureux ! ».
« Je nai jamais ressenti ça de ma vie ».
« Et lui aussi, il taime ? »
« Je crois bien, oui
».
« Il te la dit ? »
« Non, mais il me la montré de tant de façons ».
« A savoir ? ».
« Il sest excusé pour le mal quil ma fait ».
« Ah, quand-même ! ».
« Je te promets, il a été doux, adorable, aimant, à un point que je ne pensais plus possible ».
« Votre petite bagarre a lair de lui avoir ouvert les yeux ».
« Cest certain ! Timagines quil a même fait son premier coming out avec ses potes
cest énorme ! ».
« Ah, carrément. Et il est où maintenant ? ».
« En route pour Paris. Le club de rugby qui la recruté le mois dernier la convoqué pour faire les derniers examens ».
« Et vous allez faire comment pour vous revoir ? ».
« Je ne sais pas encore, mais on va y arriver ! ».
Le reste de laprès-midi a glissé sans crier gare. Tout pris dans mon écriture, je nai pas vu le temps passer. Le soir est venu, lheure du dîner avec, puis celle du coucher. Et un signe de sa part. Un sms.
« Je sui bien arrive. Tu me manque ».
Un petit message doux comme un baiser. Comme une caresse. Une caresse qui, malgré les larmes quelle ma tirées, ma fait sentir bien, aimé, et ma aidé à trouver le sommeil. Un simple sms et jai eu limpression que mon bobrun était à nouveau côté de moi.
Mais ce matin, jeudi, mon bobrun me manque horriblement. Je nai pas envie de me lever. Pas envie de sortir, de me balader dans cette ville de Toulouse où je suis désormais certain de ne pas pouvoir croiser mon Jérém. Une ville où son absence est totale, une ville qui me remplit de tristesse. Sa présence dans labsence est déchirante. Saudade.
Depuis mon réveil, je nai cessé de revoir la 205 rouge séloigner de Campan. La douceur des souvenirs se mélange à la violence de la séparation. Et dans mes souvenirs, je retrouve également le drame américain de la veille. Je retrouve la peur.
Le réflexe est alors dallumer la radio, pour voir si pendant la nuit, pendant mon sommeil, il ne sest pas produit dautres catastrophes. Heureusement, ça ne semble pas être le cas. Mais les infos parlent toujours des attentats de New York.
Lécho du 11 septembre retentit toujours dans ma conscience. En entendant parler et reparler de ces attentats, je retrouve intacte limpression quon ma arraché un bras, limpression de ressentir lodeur et de la fumée dans mon nez.
Hier soir, au journal de 20 heures, qui sest prolongé bien au-delà de sa durée normale et dont le seul sujet était les attentats, la télé na cessé de nous repasser en boucle les images des avions qui sencastrent dans les tours, des tours en feu, des tours qui seffondrent, des hommes et des femmes en sang.
On a limpression de vivre une sorte de retour au moyen âge, et le spectre de la guerre est réel. On a limpression que ces attentats incroyables vont secouer nos civilisations et nos démocraties occidentales jusquà la racine et que tout ce quon a connu, paix, prospérité, relative liberté, va bientôt disparaître.
Les médias contribuent grandement à créer et entretenir lambiance de panique qui sature lesprit des gens.
Jai peur, comme tout un chacun a peur. Peur que ça pète ailleurs, peur que le temps nous soit compté. Jai retrouvé le cocon familial et cela me rassure. Mais jai tellement besoin de mon Jérém, de me retrouver dans ses bras puissants, chauds et rassurants. Tellement besoin de dormir avec lui, me réveiller avec lui, me sentir aimé et protégé. Jai besoin de mon Jérém, il ny quavec lui que je me sentirai en sécurité. Et si cétait vraiment les dernières heures quil nous est donné de vivre avant lApocalypse, il serait dommage, ce serait un gâchis effroyable, de ne pas les passer ensemble à faire lamour.
Et si un attentant semblable se produisait à Paris ? Je frissonne à lidée quun truc horrible puisse arriver dans lune des capitales les plus en vue du monde occidental.
Alors, non, rien ne me motive à me lever en ce triste jeudi matin.
Puis, en me retournant dans mon lit, il se passe quelque chose. Je sens les mailles de ma chaînette glisser sur ma peau. Sa chaînette. Quelle bonne idée, quel beau geste de sa part de me donner cette chaînette. Je ne la quitterais pour rien au monde.
La chaînette de Jérém est bien lourde, la caresse du métal est parfois bien chaude, parfois fraîche, elle mapporte toute une palette de sensations, entre émotion, nostalgie et excitation.
Cette chaînette qui a été au contact de sa peau pendant des années, qui est comme imprégnée de sa virilité radioactive. Cette chaînette qui a reçu la vibration de tant dorgasmes de mon bobrun. Avec moi, avec dautres. Mais le plus grand nombre, avec moi. Cette chaînette que je trouvais si sexy sur mon beau mâle brun, était lun des « ingrédients » du désir quil provoquait en moi. Cette chaînette est désormais à moi. Cest presque un « trophée ». Et en même temps, la plus belle preuve de son amour.
Je ne suis pas sûr de la porter avec le même panache que lui, mais je ladore. Car je me sens bien avec elle. En la sentant autour de mon cou, jai un peu limpression que Jérém est avec moi. Et en moi.
Elle me donne de lénergie. Elle me motive à quitter mes draps.
Pourtant, ça ne suffit pas. Je sens que pour pouvoir démarrer cette nouvelle journée, jai besoin dun petit shoot de mon Jérém. Jai alors lidée de lui envoyer un nouveau sms.
« Bonjour beau mec ».
Rien que le fait de lavoir envoyé, sans même avoir de retour, suffit à me requinquer. Ma journée a désormais un but. Celui de recevoir la réponse de mon bobrun.
En attendant, je pars me doucher, je mhabille, je prends mon petit déj. Mon attente est de plus en plus fébrile. Mais après le petit déj, toujours pas de réponse.
Il est 9 heures. Quest-il est en train de faire à cet instant précis ? Est-il déjà chez le médecin qui doit lexaminer ? Est-ce quil est déjà en boxer en train de se faire reluquer par de jeunes infirmières ?
Pourquoi na-t-il pas pensé lui aussi à menvoyer un message pour me souhaiter la bonne journée ?
Parce quil a dautres chats à fouetter ce matin, et il doit pas mal stresser.
Pourquoi ne mappelle-t-il pas, pourquoi il ne se repose pas sur moi si il stresse ?
Parce quil est comme ça, il garde tout pour lui. Il va sans doute menvoyer un message un peu plus tard dans la journée.
Après le petit déj, jappelle mon futur proprio à Bordeaux pour fixer un nouveau rendez-vous pour signer le bail pour le meublé. Le type a lair gentil et arrangeant, il me dit quil me fait confiance pour signer le jour de mon emménagement, c'est-à-dire le jour de la rentrée à la fac. Ce qui mévitera un aller-retour. Sur les photos de lagence, lappart a lair correct. Pourvu quil ny ait pas embrouille une fois sur place.
Entre midi et deux, je passe dautres coups de fil. Jappelle dabord ma cousine pour lui dire que je suis rentré et pour lui parler un peu de mon long week-end, en attendant de pouvoir lui raconter en détail lorsque je la verrai en vrai. Mais elle est très occupée et je narrive pas à lui raconter grand-chose. A part lui dire que je viens de passer les plus beaux moments de ma vie toute entière.
« Je suis vraiment heureuse pour toi, mon cousin ».
« Merci beaucoup. Et toi, ça se passe toujours bien avec ton beau Philippe ? ».
« Ça se passe merveilleusement bien. Dailleurs, jai quelque chose à tannoncer ».
« Cest quoi ? ».
« Je te dirai quand on se verra ».
Intrigué, jinsiste.
« Allez, raconte !!!! ».
« Tu peux bien patienter un peu, je devrais pouvoir me libérer demain ».
Puis, elle a rapidement pris congé et raccroché. Me laissant intrigué par le petit mystère quelle na pas voulu me dévoiler.
Jai alors appelé mon pote Julien. Je lui ai demandé sil avait le temps pour prendre un verre. Il ma répondu quil avait des cours toute la journée mais quil pouvait se libérer sur le coup de 18h30. Il na pas pu sempêcher de me demander si javais pris cher. Je ne me suis pas privé de lenvoyer chier.
Jaime beaucoup notre relation. Son humour, ses expressions grivoises, sa coquinerie, le tout sous couvert dune bienveillance qui me fait chaud au cur. Car ce mec est un véritable pote désormais, et il me fait bien rire. Cest drôle, il maura fallu attendre la fin du lycée pour trouver un pote.
Lorsque je raccroche davec Julien, je prends une longue inspiration et je passe le dernier et le plus difficile des trois coups de fil de la journée.
Rien quen lançant le numéro, et a fortiori lorsque la tonalité retentit dans mon oreille, mon cur fait une accélération vertigineuse. Car jai toujours en tête la distance que javais ressentie dans sa voix lorsque je lavais appelé avant mon départ pour Campan. Ça ma marqué. Jai peur de retrouver cette distance telle quelle. Il mavait promis de me rappeler. Il ne la pas fait. Jai peur de paraître insistant, ridicule. Jai peur de provoquer de lagacement. Et pourtant, je dois le faire. Je ne peux pas ne pas faire une dernière tentative de mexpliquer avec Thibault.
A la troisième tonalité, jai limpression davoir le cur assis sur mes cordes vocales. Cest là que lancien bomécano, le bopompier, le nouvellement « beau demi de mêlée du Stade Toulousain » décroche enfin.
« Salut Nico ».
Cest un accueil typiquement « thibaudien ». Jai toujours eu limpression que sa façon de glisser le prénom de son interlocuteur dans la phrase était une marque de sa considération.
« Salut, tu vas bien ? ».
« Ca va, ça va
et toi ? ».
« Ca va aussi » je lui réponds, avant quun silence gêné sinstalle entre nous.
Nous navons pas échangé dix mots. Et jai à nouveau limpression que le jeune pompier est distant.
« Ça se passe bien les entraînements ? » jarrive à glisser pour débloquer la situation.
« Oui, très bien, mais je nai jamais été aussi fatigué de ma vie ».
Puis, il enchaîne, sans transition.
« Nico, tu as des nouvelles de Jé ? Tu sais sil est parti à Paris ? ».
« Oui, il est parti hier ».
« Et il a passé ses examens médicaux ? ».
« Je crois quil les passe en ce moment même ».
Puis, un nouveau silence nous ratt. Je décide de forcer les choses.
« Thibault, ça te dirait quon prenne un verre ? ».
« Je nai pas trop le temps en ce moment ».
« Je vais bientôt partir à Bordeaux pour mes études. Je voudrais vraiment te voir avant. Jai des trucs à te dire. Je me suis mal comporté avec toi ».
« Laisse tomber ça, Nico. Cest mieux si on oublie tout ça ».
« Juste un moment, sil te plaît ».
« Je ne sais pas si cest une bonne idée pour linstant. Sil te plaît, ninsiste pas ».
Sa détermination me touche et mimpressionne. Elle mattriste. Et pourtant, elle force le respect.
« Je ninsiste pas, alors ».
« Cest mieux comme ça, je tassure ».
Depuis quelques jours, à chaque fois que jai pensé rappeler Thibault, je me suis demandé si ça nallait pas être trop tard pour rattr le coup avec lui. Je crois que je tiens là ma réponse. Je nai plus darguments à lui opposer. Je culpabilise, jai envie de pleurer. Du coup, je ne sais pas comment mettre fin à cette conversation qui vient de me confirmer que jai perdu un ami.
Alors, dans un dernier élan despoir, je décide de jouer le tout pour tout.
« Jai énormément destime pour toi, Thibault. Tu es un gars en or. Vraiment. Tu es un modèle pour moi. Ton amitié est précieuse pour moi ».
« Nico
».
Pendant une poignée de secondes, un silence interminable me donne la mesure du malaise qui sest installé entre nous.
« Je
je » je lentends bafouiller. Je le sens touché, ému par mes mots.
Je touche du doigt le mal que je lui ai fait et qui lui empêche désormais de surmonter la distance créé par la souffrance. Thibault est blessé. Je lai blessé. Jai blessé ce gars qui était mon ami, un ami sincère. Je lai blessé parce je nai pas su essayer de comprendre que, pour une fois, il ait pu avoir envie de penser à son propre bonheur. Parce que je nai pas su comprendre que, sous sa maturité, sa générosité, son altruisme, son abnégation, Thibault est un être sensible, on ne peut plus humain, et amoureux.
Je me sens minable. Jai envie de pleurer. Jessaie de me maîtriser, non sans mal.
« Moi aussi je taime bien » il finit par lâcher.
« Je regrette tellement, si tu savais ».
« On a tous agi dune façon qui nétait pas la bonne ».
Un nouveau silence sinstalle, pesant.
« Thibault
».
« Je dois y aller maintenant ».
« Rappelle-moi, quand tu veux
».
« Tu es toujours sur Toulouse ? »
« Oui, mais pas pour longtemps. Je pars lundi soir à Bordeaux ».
« Bon courage pour la fac, Nico ».
Là, je suis assommé. Car cette formule ressemble à un adieu. Jai vraiment du mal à retenir mes larmes.
« Merci
et bon courage à toi pour le Stade. Fais attention à toi, essaie de ne pas te blesser. Ce serait dommage quil tarrive quelque chose ».
« Merci Nico. Adishatz » il me lance.
« Adishatz
je te dirai pour ses examens » jai tout juste le temps de lui relancer, avant que la communication ne soit coupée de son côté.
Désormais, jen ai le cur net. Jai perdu lamitié de Thibault. Je nai senti aucun reproche direct dans ses mots, et pourtant jai senti quil a été affecté par mon comportement. Jérém pense quil a besoin de temps pour surmonter tout ça. Mais moi jai bien peur que cela soit plus grave que ça. Jai peur que, pour se protéger, il coupe les ponts pendant un temps tellement long que si un jour on se recroise, on sera à nouveau de parfaits étrangers. Je sais quil ne me rappellera pas.
Ce coup de fil ma sapé le moral. Je men veux horriblement.
Je ressens la tristesse menvahir. Soudain, Jérém me manque encore plus fort. Je regarde mon téléphone, toujours pas de message de sa part. Jaimerais tellement me blottir dans ses bras pour me réconforter. Jai envie de le voir, de le toucher, de le serrer contre moi, de lembrasser, de faire lamour avec lui. Jai envie dentendre sa voix, davoir de ses nouvelles, de savoir comment se sont passés ses examens médicaux. Je tourne en rond dans ma chambre.
Je mets un cd de Madonna, cette amie que je connais depuis mon adolescence et dont la "présence", les chansons, ont marqué chaque moment de ma vie. Elle est là quand je suis heureux et quand je ne vais pas bien. Elle m'accompagne, sa présence et sa musique font que d'une certaine façon je ne me suis jamais senti seul même dans les pires moments. Et pourtant, cet après-midi, malgré sa musique, la solitude me prend à la gorge.
Je sors les photos que Thibault mavait données un jour, lorsque nous étions potes. Une époque, hélas révolue.
Je retrouve Jérém assis sur la pelouse de la prairie des Filtres, on voit une arcade du Pont Neuf tout à gauche de limage. Le buste soutenu par ses bras tendus derrière son dos et ses mains posées à plat sur le sol. Il est habillé dun simple jeans et dune chemise à carreaux noirs et blancs, les manches retroussées, ouverte sur un t-shirt blanc sur lequel sa chaînette de mec est négligemment abandonnée, le regard ténébreux. Tenue et attitude, très, très, très, mais alors, très très très très très meeeeec !
Je retrouve également Jérém en maillot de rugby. Beau comme un Dieu.
Et je retrouve ma préférée, mon bobrun sur la plage, torse nu, le bronzage ajoutant des couleurs à sa peau mate, la lumière du soleil mettant en valeur et en relief la musculature parfaite de son corps.
Je narrive toujours pas à croire que jai la chance de faire lamour avec un mec pareil. Et encore moins à croire que je suis quelquun de spécial pour ce mec. Quil a fait son premier coming out pour moi.
Sur ces trois photos Jérém est plus jeune mais déjà tellement sexy. Jai tellement envie de lui. Jatt son t-shirt et son boxer volés dans la corbeille à linge de lappart de la rue de la Colombette, jétale les trois photos à côté de moi et je me branle. Lexcitation et la montée vers le plaisir me font très vite oublier tous mes tracas.
Jimagine le corps de mon bobrun contre le mien, sa peau chaude enveloppant la mienne, je ferme les yeux et je retrouve la sensation de sa queue dans ma bouche, de ses va et vient, de ses giclées puissantes, de son goût à la fois fort et doux de jeune mâle. Je retrouve sa présence virile entre mes fesses, je me sens envahi par son manche, enivré par son plaisir. Jai tellement envie de faire jouir ce mec, putain !
La puissance de sa virilité, le goût de son jus de mec me manquent comme une drogue dure. Je revois ses biceps, ses pecs, ses abdos, sa bonne petite gueule se contracter sous leffet de la décharge de lorgasme. Je mimagine bien rempli de sa semence chaude et dense. Quest-ce que je ne donnerais pas à cet instant pour quil soit là, en train de gicler en moi ! Et je jouis. Avec une intensité inouïe.
Dans les instants qui suivent lorgasme, je suis envahi par cette sensation dintense apaisement qui fait tellement de bien. Une sensation qui, hélas, ne dure pas longtemps.
Lorsque je redescends, je repense au moment où le bomécano ma offert ces images. Cétait pendant lété dernier, la seule fois où il mavait invité prendre un verre chez lui. Je venais de lui avouer mes sentiments pour son pote. Même si ça faisait un moment quil avait compris.
Je me souviens quil mavait parlé de lanniversaire de son pote Jéjé.
« Dans moins de trois mois, il va fêter ses vingt ans » il mavait raconté « et jai prévu de lui faire une surprise. Jai envie de lamener au Mas dAzil pour lui offrir un saut à lélastique de 80 mètres de haut. Je sais quil va kiffer ».
Lanniversaire de Jérém, cest dans moins dun mois. Je doute fort que cela se fasse.
Soudain, je réalise quil serait bon que jaille voir mon bobrun à Paris le week-end de son anniversaire. Jaimerais quon puisse se voir avant, mais au pire, je ne peux pas rater le coche du week-end du 13 et 14 octobre, juste avant son anniversaire le 16. Est-ce que je vais lui faire une surprise ? Il faudrait déjà que je sache où il crèche et que je sois certain de son emploi du temps. Que je sois certain de ne pas le déranger. De ne pas trop exposer notre relation. Ça fait beaucoup dinconnues. Putain, son anniversaire cest rien que dans un mois. Comment vais-je tenir jusque-là ? Jaimerais tellement pouvoir aller le voir dès ce week-end !
Soudain, en regardant une énième fois les photos de Jérém, je me rappelle que ce ne sont plus les seules que je possède de mon bobrun. Car il y en a bien dautres dans mon appareil jetable de 24 poses, et quil suffit de les amener à développer pour retrouver mon bobrun, dune certaine façon.
Ceci me donne une raison pour sortir de ma tanière. Ca me changera les idées, en attendant le rancard avec Julien.
[Attention : les paragraphes qui suivent décrivent des gestes et des plaisirs aujourdhui disparus, inconnus pour les nouvelles générations nées avec le tout numérique et le tout Internet. Et pourtant, quest-ce que cétait bon ! Enjoy-it !].
En début daprès-midi, je me rends au grand magasin de cd et livres de la place Wilson. Je laisse les négatifs au comptoir. La nana mannonce que je peux passer les récupérer samedi 14 heures. Deux jours, ça va être super long ! Je suis tellement impatient de savoir si les photos sont réussies ! Je suis tellement impatient de revoir mon Jérém tel que je lai retrouvé à Campan !
Et pourtant, il y a dans cette attente quelque chose de magique. Car cest bien cette attente, ajoutée au prix à débourser pour obtenir une quantité limitée de clichés, qui donne à ces derniers leur valeur. Pourvu quil ny ait pas daccident au développement, car ces photos que je nai pas encore vues sont déjà si précieuses à mes yeux !
Etant sur place, je profite pour faire un tour dans les rayons cd et dvd. Je flâne, je fouille dans les bacs, je découvre, je laisse mon regard se balader dans cet univers coloré et plein de tentations. Dans les bacs, à la lettre M, je mattarde sur la section Madonna, de loin la plus fournie de toutes. Les albums côtoient des maxi cd contenant des remix, ou même des cd pas vraiment officiels. Je vérifie sil y a des cd qui ne sont pas encore dans ma collection. Un cd de pressage américain et au packaging cartonné contenant des remix du titre « Music » attire mon attention. Je ne lai pas. Aujourdhui, je vais encore enrichir ma collection. Je ressens un vrai plaisir. Je le prends, impatient de lécouter.
Soudain, je me rappelle mêtre dit que jachèterais le cd de Starmania, cet opéra futuriste et prémonitoire que jai découvert à Campan. Je cherche, je ne trouve pas. Je cherche un vendeur, je demande. Il mindique le rayon, avec le sourire. Il mexplique que cest la version de 1998, celle montée pour les 20 ans de lopéra rock. Il ajoute quil laime beaucoup, car elle est à son avis plus sobre et peut-être plus aboutie même que loriginal de 1978.
Aujourdhui, jexplose mon budget musique. Quand je serai à Bordeaux, je devrais faire davantage attention, car la vie étudiante a des priorités autres que les cd.
Je me dirige vers la caisse. Et là, un choc mattend. Venant en sens inverse et se dirigeant vars le rayon cd, mon regard est aimanté par un petit brun excessivement mignon, avec un brushing de bogoss, un physique de parfait petit con sexy, une peau délicieusement mate, et une petite gueule du genre à faire jouir avec une urgence plus quabsolue. Une petite gueule bien connue, avec un air de famille. Putain, si je mattendais à ça, à tomber sur Maxime, le frérot de mon Jérém !
Le bogoss est accompagné de sa copine. Et lorsquil me repère, sa belle petite gueule souvre dans un sourire à faire pleurer tous les Dieux de lUnivers. Ah, putain, quest-ce quil est beau lui aussi, beau étant largement insuffisant à qualifier une telle présence, et le bonheur quelle dégage. Un bonheur qui na déquivalent que dans celui provoqué par son frère. A une différence près : le petit Tommasi, tout en étant aussi charmant que son frère, est davantage souriant et jovial. Ça tranche énormément avec le petit gars terrifié, en pleurs et en colère que jai découvert dans le hall de lhôpital de Purpan, le jour de laccident de Jérém.
« Hey, Nico, tu vas bien ? » me salue le petit mec, très chaleureux, en me claquant la bise.
« Très bien et toi ? ».
« Bien, bien. Je te présente ma copine. Nico, Claire, Claire, Nico ».
« Alors, comment ça sest passé à Campan ? » il enchaîne.
« Très bien
».
Jai envie de lui dire « très bien parce que ton frère était tendre, doux, parce quil ma fait comprendre à quel point je compte pour lui, parce quon a fait lamour tant de fois, parce quil a fait son coming out ».
Au lieu de quoi, je me contente dajouter :
« Jai fait du cheval pour la première fois de ma vie et jai rencontré des gens formidables ».
« Et Jérém il allait bien ? » il me demande, alors que la copine part faire un tour dans les rayons.
« Il était en forme. Il attendait le coup de fil de Paris ».
« Je lai eu ce matin, il attendait pour commencer le visites. Il me tarde dêtre à ce soir pour savoir ».
Quest-ce que cest beau cette complicité et cette proximité entre frères.
« Moi aussi ».
« Il ma dit que lui aussi il a passé un très bon moment. Il avait lair vraiment content que tu laies rejoint ».
« Cétait génial ».
« Maintenant, il va falloir faire des bornes pour vous voir » il ajoute.
« Je sais, ça va être plus compliqué ».
« Paris et Bordeaux cest pas si loin ».
« Il me tarde daller le voir ».
« A lui aussi ça lui tarde. Tu comptes vraiment beaucoup pour lui, tu sais
».
« Jespère quil ne va pas moublier ».
« Non, il ne toubliera pas. Mais il va falloir te battre ».
« Je sais ».
« Allez Nico, je vais rejoindre Claire, avant quelle fasse la gueule. Content de tavoir vu ».
« Moi aussi je suis content de tavoir vu ».
« Au plaisir de te revoir » fait-il, en partant vers le rayonnage, après mavoir claqué une nouvelle bise et avoir laissé traîner un clin dil des plus charmants et sexy.
« Jespère ».
« Tiens » fait-il, en revenant soudainement sur ses pas « je vais te filer mon numéro, et tu vas me filer le tien. Si jamais, un soir on se fera une bouffe ».
Vraiment adorable le petit gars. Je note son numéro sur mon portable et je lui donne le mien.
« Bon courage pour tes études ».
« Merci ».
Je le regarde séloigner avec sa démarche bien mec. Jadore ce petit gars. Je crois que jai trouvé un nouvel ami.
La télé tourne en continu à la maison. Le monde saccroche à linfo pour tenter dapaiser sa peur. Une info qui hélas, distille davantage de questionnements dans lesprit des gens quelle apporte de réponses. Une info qui ne fait qualimenter encore cette peur, sans jamais lapaiser.
Les images effrayantes des impacts des avions sur les tours jumelles et de leur effondrement continuent de tourner en boucle. Des experts de tout bord, dans toutes les langues, se succèdent dans les émissions spéciales qui bouleversent les programmations des chaînes.
Le discours du président américain de la veille est lui aussi passé et repassé et décortiqué sans cesse. Ce qui me frappe le plus dans ses mots, cest « la guerre ». Une guerre « contre la terreur » qui se veut réponse ferme au sentiment de peur de toute une civilisation. Mais qui, à bien regarder, a un goût de vengeance pure. Une guerre qui veut laver une humiliation, sans se pencher sur la compréhension des raisons qui ont conduit à ce désastre. Une guerre pour éradiquer le terrorisme, par la violence. Une guerre pour créer la paix. Un bel exemple doxymore. Car la guerre ne fait en général que créer la guerre. Dans une guerre, il ny a pas de gagnant. A léchelle du temps, il ny a que des perdants.
Cette guerre me fait peur. Jusquoù elle va nous mener ? Est-ce que les attentats de New York ne sont quun avant-goût de lhorreur que vont connaître nos pays occidentaux ?
Je dois retrouver Julien en début de soirée. Je lui ai donné rendez-vous dans une brasserie. Un endroit que je nai pas choisi au hasard. Une brasserie à Esquirol. La brasserie où Jérém a travaillé pendant tout lété passé. Jai envie de sentir les vibrations de ce lieu qui demeure à mes yeux marqué et imprégné par la présence de mon bobrun.
Jarrive une demi-heure avant le rendez-vous. Il ny a pas grand monde et jai la chance de pouvoir minstaller à la même table où jétais installé le jour où je suis venu le voir à la brasserie, le dernier jour de la semaine magique où il était venu chaque jour me faire lamour à la maison pendant sa coupure de laprès-midi.
Je regarde la terrasse presque vide, ses tables inoccupées et je revois mon bobrun avec sa belle chemise blanche, bien ajustée à son torse de fou, les manches retroussées, deux boutons du haut ouverts laissant entrevoir sa chaînette posée sur le relief de ses pecs délicatement poilus. Je le revois, avec son pantalon noir élégant et ses baskets blanches et rouges, un plateau rond chargé de boissons, je le revois voltiger entre les tables, avec son assurance, avec son sourire charmeur et ravageur. Je le revois en train de se faire draguer par deux nanas.
En attendant Julien, jai le temps de prendre un café, prétexte pour accéder aux toilettes de létablissement. Non pas que jaie vraiment besoin daller au petit coin. Ce dont jai vraiment envie, cest de revoir et dapprocher la porte du fond du couloir, celle qui donne sur la petite cour qui mène à la réserve, cet endroit rempli de bouteilles au milieu desquelles mon Jérém a voulu que je lui fasse une gâterie qui sétait révélée terriblement excitante.
Je prends même le risque de pousser la porte qui donne sur la petite cour, comme pour pénétrer un peu plus dans le souvenir. Soudain, à la vue de la porte entrouverte de la réserve, je ressens une bouffée de chaleur monter à mon visage. Mon cur se tape un sprint mémorable, ma respiration devient espacée et profonde. Lexcitation sempare de moi. Je bande comme un âne. Jai envie de lui à en crever. Réflexe pavlovien.
Car en une fraction de seconde, je retrouve intactes les sensations de ce jour-là, ce mélange de peur de nous faire gauler et dexcitation extrême. Je retrouve dans mon nez le parfum de sa peau, la chaleur de son corps, les petites odeurs de sa virilité moite de transpiration. Dans mes oreilles résonne le bruit de sa ceinture qui se défait, de sa braguette qui souvre, de son boxer qui glisse sur ses cuisses, de sa queue tendue qui jaillit en claquant sur ses abdos, de ses ahanements de plaisir. Dans ma bouche je ressens la raideur de son manche. Et ses giclées, leur puissance, leur goût divin. Putain de jeune mâle, que ce Jérémie ! Quand je pense que cest lui qui ma proposé cette galipette !
Jai encore envie de me branler. Pendant un instant, lidée de menfermer dans les toilettes pour me soulager me traverse lesprit, mais jy renonce. Je reviens à ma table et je me perds à nouveau dans mes souvenirs. Je repense à la semaine magique, aux après-midis chez moi, dont cette pipe dans la réserve avait été le point dorgue avant le clash qui allait nous séparer pendant un mois. Un mois horrible, le pire moment de ma vie, après cette belle semaine qui était à ce moment-là le plus beau souvenir de ma vie. Et pourtant, après la souffrance, un nouveau bonheur, encore plus grand, était venu. Campan.
Mais ce bonheur avait été de courte durée. Une poignée de jours magiques, avant une nouvelle séparation difficile. Mais cette fois-ci, cétait lamour qui lavait rendue difficile, et non pas la bagarre. Un amour que nous partagions, dont les preuves tangibles étaient des larmes que nous partagions également.
La séparation à Campan était le déchirement de deux êtres qui saiment et qui se sentent aimés. Peut-être la plus déchirante de toutes des séparations. Certes, pas une séparation définitive, mais une séparation avec des vux de retrouvailles. Des retrouvailles sans échéance précise, avec une distance dans le temps et dans lespace. Une séparation qui pourrait faire vaciller les bonnes dispositions de mon bobrun encore fraîches, jeunes et fragiles.
« Eh, oh ! Tu es parti ou, là ? » se moque le beau Julien en me secouant au sens propre (je sens sa main se poser sur mon cou par derrière, lenserrer et le remuer légèrement) que figuré, de mes rêveries.
Tout pris dans mes réflexions, je ne lai même pas vu arriver.
Mais lorsque je reviens à moi, sa présence se dévoile à mes yeux avec la force dune claque en pleine figure.
Avec son sourire incendiaire, sa voix éraillée et sexy, ses attitudes de charmeur, son t-shirt noir bien ajusté à son physique élancé, sa peau bronzée, ses yeux pétillants, sa dentition parfaite et immaculée de jeune loup conquérant, et ce parfum hypnotisant qui avait failli me faire rater ma conduite à lépoque, le boblond est toujours aussi craquant.
« Alors, comment se sont passées ces retrouvailles avec ton mec ? ».
« Très bien »
« Vous avez bien profité de vos corps ? ».
« Oh que oui ».
« Quel coquin, ce Nico ! ».
« Et il a même voulu que je lui fasse lamour ».
« Toi, tu lui as fait lamour ? ».
« Oui ».
« Je pensais que tu étais passif ».
« Je le pensais aussi. Mais jai pris beaucoup de plaisir ».
« Cétait ta première fois ? ».
« Oui ».
« Félicitations, alors, tu nes plus puceau à présent ».
« Cest ça ! ».
« Quand je pense que tu hésitais à y aller ! ».
« Cest vrai
merci de mavoir convaincu. Et dailleurs, encore merci dêtre venu faire démarrer la voiture ».
« Cest rien. Alors, raconte, il ta demandé en mariage ? » il plaisante.
« Tes con ! Non pas vraiment, mais cétait génial, vraiment génial. Il ma amené chez lui, il a une vieille bicoque là-haut, dans les montagnes. Il a été tendre, doux, il ma beaucoup parlé de lui, il ma dit à quel point il tenait à moi. Il ma présenté ses amis cavaliers, on a fait du cheval ensemble. Cétait la première fois que jen faisais, je suis tombé, je suis remonté en selle. Jai rencontré des gens drôles et ouverts desprit. Et un soir, il ma embrassé devant tous ses potes ».
« Ah, carrément ! Couillu, le mec ! ».
« Oui, couillu
on a bien rigolé, on sest fait des bisous, beaucoup de bisous, et beaucoup venaient de lui. On sest caressés, on sest serrés lun contre lautre, on a dormi ensemble, on sest réveillés ensemble, on sest douchés ensemble, on a mangé ensemble, comme un vrai petit couple. Cétait tellement, tellement bien ! »
Pendant que je parle, jen ai les larmes aux yeux. Cest la première fois que je parle si précisément de ces jours magiques à Campan et soudain, la parole ravive le souvenir, et la souffrance que me procure le manque de Jérém se fait sentir comme une plaie béante sur laquelle on aurait jeté du sel.
« Et puis le coup de fil de Paris est arrivé. Et il a dû partir, hier matin ».
« Il te manque, hein ? » fait le boblond, en saisissant mon bras avec sa main chaude et ferme et en caressant ma peau avec son pouce.
« Tu peux pas savoir à quel point. Surtout après ce qui sest passé avant hier ».
« Cest horrible, on est tous sous le choc. Ça ma tellement secoué que jai ressenti le besoin de prier. Ça devait faire plus de dix ans que je navais pas prié. Mais avant-hier soir, jai eu besoin daller à St Sernin et prier pour toutes ces victimes. Jai prié pour que rien de semblable narrive en France, et que ça narrive plus jamais nulle part dans le monde. Jai prié pour que les Hommes reviennent à la raison, et pour quil ny ait pas une guerre qui pourrait tout effacer de la surface de la planète ».
« Ça dépasse lentendement » je commente.
« Mais il faut aller de lavant, il ne faut pas cesser de vivre. Vous allez vous revoir quand ? ».
« Je nen sais rien
cest ça qui est le plus dur à supporter ».
« Tu dois lui manquer aussi ».
« Oui, il me la dit hier soir ».
« Alors vous allez vous revoir bientôt ».
« Ça dépend de lui, de comment il va être installé, de son emploi du temps. La semaine prochaine cest ma rentrée à Bordeaux. Ce ne sera pas avant 15 jours au mieux, et plusieurs semaines au pire ».
« Lessentiel cest que ça arrive, que vous vous retrouviez. Plus lattente sera longue, plus vous aurez du plaisir à vous retrouver ».
« Jespère quil ne va pas moublier à Paris ».
« Il ne toubliera pas ».
« Il y a tellement de tentations la bas ».
« Je ne te dis pas quil ne couchera pas ailleurs, mais tu seras toujours celui qui a la place de choix dans son cur ».
« Coucher ailleurs ? » je fais, déstabilisé par ses mots.
« Tu te doutes bien que tu ne peux pas lui demander de ne pas se vider les burnes pendant des mois ».
« Je préfère ne pas y penser ».
« Toi aussi tu auras des occasions ».
« Je nen veux pas ! ».
« Si tu tobstines à lui réclamer la fidélité et à lui imposer labstinence, tu vas le perdre ».
Je pousse un souffle de détresse.
« Et si tu timposes labstinence » il continue « tu vas devenir fou. Limportant, cest que vous vous protégiez quand vous allez voir ailleurs. Que vous ne vous rameniez pas de saloperies. Cest ça que tu dois exiger de lui et cest aussi ça que tu dois lui garantir ».
« Je ne veux pas coucher ailleurs, et je ne veux pas quil couche ailleurs ».
« Je ne te parle que de sexe. Il sera toujours ton Jérémie et tu seras toujours son Nico à lui ».
« Qui me garantit quen couchant ailleurs, il ne va pas tomber amoureux dun autre ? ».
« Personne. Et cest vrai aussi de ton côté. Mais cest le risque à prendre pour donner une chance à votre relation. Toi non plus tu ne tiendrais pas ».
« Si ».
« Admettons. Mais pour lui ça va être plus compliqué ».
« Pourquoi ? ».
« Un joueur de rugby pro, bogosse comme lui, dans une ville comme Paris, il sera sollicité à mort. Il ne tiendra pas. Si tu lui demandes de ne pas coucher, il sera obligé de te mentir. Et un jour tu découvriras ses mensonges et tu auras mal. Vous vous finirez par vous vous disputer et vous quitter ».
« Tu es si négatif ! ».
« Non, je suis réaliste. Je te parle de mon expérience avec les nanas ».
« Je ne sais pas si je suis capable daccepter que Jérém couche ailleurs ».
« Si tu nacceptes pas ça, ta vie va vite devenir un enfer. Tu vas être rongé par la jalousie et les questionnements et tes études vont sen ressentir. Et en plus, tu vas le perdre ».
« Ecoute, Nico » il continue, tout en posant sa main sur la mienne, pour me rassurer « il a 20 ans, laisse-le papillonner jusquà ce quil en ait marre. Et toi aussi fais des expériences. Imagine sil part un jour à létranger pour une carrière internationale, ce sera encore plus difficile. [Je frissonne à la simple évocation de cette possibilité que je navais encore jamais envisagée]. Dis-toi quil a fait un grand pas vers toi en faisant son coming out ».
« Jai peur que ses bonnes intentions et sa volonté de sassumer ne durent pas longtemps à Paris ».
« Pourquoi ça ? ».
« A Campan on était au milieu de nulle part, entouré de gens bienveillants. Mais à Paris, dès quil va être connu, jai peur quil veuille à tout prix garder les apparences et remettre de la distance entre nous ».
« Cest vrai, je ny avais pas pensé. Mais noublie jamais que tu es quelquun de spécial pour lui. Sil ne peut pas assumer ta présence dans sa vie dans limmédiat, le forcer ne servirait à rien. Montre-lui ton amour et nexige pas plus que ce quil peut te donner. Sois patient et prête attention aux petites choses qui tassurent de son amour, au-delà de ses coucheries et de ce que son environnement sportif lui impose comme limites ».
Les mots de Julien me secouent. Car il a mis le doigt précisément là où ça fait mal. Je sais que Julien a raison, mais cest horriblement dur à entendre et à admettre. Car le cur a ses raisons que la raison ignore, et le cur aime mieux écouter ses propres raisons plutôt que celles de raison. Alors, je préfère penser que nous allons y arriver, que notre couple va résister à la distance sans que nous ayons besoin daller voir ailleurs.
Jérém me manque horriblement. Sur le chemin vers la maison, je lui envoie un nouveau sms.
« Tout se passe bien ? ».
Deux minutes plus tard, je reçois sa réponse.
« Pas encore finit, je tappelle tt l heure ».
Pendant le dîner, jattends fébrilement son coup de fil. Mais à 20 heures il nest toujours pas arrivé. A 21 heures non plus.
Ce nest quà 21h50 que mon portable se met à vibrer et que lécran affiche les dix chiffres familiers associées au prénom tant aimé de mon Jérém.
« Ourson
» je lentends répondre à mon simple « Allo ? ». Le ton de sa voix est calme et doux comme une caresse. Et dans ce petit surnom, je retrouve toute sa tendresse, son amour.
« Comment ça va ? » je le questionne.
« Bien ».
« Alors, ces visites médicales ? ».
« Ils mont fait foutre à poil, ils mont regardé sous toutes mes coutures, ils mont fait toute sorte dexamens, prises de sang, test de souffle, javais limpression dêtre une voiture et de passer le contrôle technique ».
« Verdict ? Avec ou sans contre-visite ? ».
« Sans. Il semblerait que je suis pas trop détraqué ».
« Cest bon alors ? ».
« Ouiiiiiiiiiiiiiiii !!!!!!!!!!!!!! A priori je signe le contrat demain et je commence les entraînements dès mercredi ! ».
Sentir Jérém à ce point heureux mémeut jusquaux larmes. On dirait un gosse le jour de Noël. Je voudrais tant être à ses côtés pour partager cette joie avec lui. Fêter ça avec un resto. En faisant lamour.
« Je suis tellement content pour toi ».
« Merci, merci ».
« Tu las dit à Maxime ? ».
« Non, je vais lappeler juste après. Je voulais te lannoncer en premier ».
Adorable.
« Je lai croisé aujourdhui en ville avec sa copine. Il ma demandé comment sétait passé Campan ».
« Il est curieux le petit ».
« Il est très sympa ».
« Il est génial ».
« Comme son frère ».
« Tu me manques, Nico ».
Lire ces mots dans un sms, ma ému aux larmes. Les entendre de sa vive voix, me bouleverse.
« Toi aussi tu me manques. Il me tarde de te revoir ».
« Dès que je serai installé, promis ».
« Tu dors où ce soir ? ».
« Dans un hôtel payé par le club. Jai une chambre toute pour moi. Et il y a dautres joueurs juniors à côté. Mais dès le mois prochain je devrais avoir un appart ».
La simple idée de la proximité dautres jeunes joueurs que jimagine demblée bien foutus et sexy, mais aussi seuls, un peu déboussolés par cette ville inconnue, par ce changement dhorizon, par cette vie nouvelle, et qui ne seraient pas contre un peu de compagnie et dintimité, suffit à produire en moi une flambée de jalousie.
« Tu vas faire quoi ce soir ? ».
« On a prévu daller prendre un verre avec les gars ».
« Tu restes sage ! » je ne peux mempêcher de lui glisser en rigolant.
« Tinquiète, je ne vais pas trop boire ».
« Je parlais des gars » je fais, sur un ton taquin.
« Ah, mais je ne suis pas pd, moi ! » il se marre.
« Cest ça ».
« Jai envie de toi ».
« Moi aussi, jai eu envie de toi depuis ce matin ».
« Ce matin je me suis branlé en pensant à toi » il me glisse.
« Moi aussi
».
« Quel gâchis ».
« Je ne te le fais pas dire ».
« Passe une bonne soirée, Nico ».
« Toi aussi, Jérém, et bon courage pour demain ».
« Bisous ».
« Bisous ».
Ce soir, dans mon lit, jai du mal à trouver le sommeil. Je repense aux mots de Julien : « il na que 20 ans, laisse-le papillonner ». Et je repense aux mots de Jérém : « On a prévu daller prendre un verre avec les gars ». Mais aussi, et surtout, à ses autres mots : « jai envie de toi ». Je ne sais pas de quoi demain sera fait. Mais jai encore envie dy croire. Et je mendors en pleurant, à la fois de bonheur et de tristesse.
Mais avant de partir dans les limbes, jenvoie un message à Thibault.
« Les examens se sont bien passés. Jérém commence les entraînements lundi ».
« Merci Nico ».
Comments:
No comments!
Please sign up or log in to post a comment!